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La Birmanie ne s’est pas encore totalement engagée dans le tourbillon occidental. Préservée, complexe, mystérieuse : ses problématiques nous semblent bien lointaines. Et pourtant ! Une crise humanitaire sans précédent la rattrape, la propulsant au-devant de la scène internationale.
Depuis 2012, les Rohingyas (ethnie musulmane installée dans l’Etat de Rakhine, à la frontière avec le Bangladesh) fuient par centaines de milliers leur pays à la suite de persécutions violentes de la part de l’armée birmane. La migration est telle que certains vont même jusqu’à parler de « nettoyage ethnique » ou de « génocide culturel ». Le Dalaï-Lama en personne implore la Conseillère Spéciale de l’Etat birman, Aung San Suu Kyi, d’intervenir dans ce conflit inter communautaire qui oppose les musulmans aux bouddhistes.
Chez bynativ, nous avons cherché à en savoir plus sur la situation actuelle des Rohingyas à travers le regard de nos conseillères de voyage locales. Sarah, Thiri et Thanh Hang ont répondu à nos questions en toute transparence sur les conflits qui font rage à l’ouest de la Birmanie. Lumière sur cette actualité dramatique.
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Pour bien appréhender ce sujet d’actualité sensible, il nous faut revenir quelques années en arrière et se plonger dans l’histoire du Myanmar. La Birmanie (comme on l’appelait il y a encore 10 ans) est un pays constitué de 7 régions ou Etats, chacun appartenant à de grands groupes ethniques. L’Etat de Rakhine (appelé également « Etat d’Arakan ») est celui qui nous intéresse ici. Cette subdivision administrative est située tout à l’ouest du pays et partage sa frontière avec une partie du Bangladesh. Ce hasard géographique le place dans une position inconfortable, entre une Asie majoritairement musulmane et une autre Asie principalement bouddhiste. Le royaume de Rakhine, fondé en 1430, a pourtant connu des heures de gloire. Il s’est notamment beaucoup développé pendant la période coloniale britannique, de 1886 à 1947. L’expansion de la culture du riz nécessitait alors plus de mains-d’œuvre pour assurer une production toujours plus grandissante. Une grande partie des répondants étaient des musulmans venus des pays voisins. Ils se sont installés dans l’ouest du pays et, ensemble, ils ont fondé l’ethnie des Rohingyas.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le général bien connu Aung San (père d’Aung San Suu Kyi et leader de l’indépendance de la Birmanie en 1947) signe un accord de paix avec les dirigeants d’autres mouvements nationalistes et indépendantistes. L’objectif de cet accord est la création d’une Birmanie unique et solidaire, sans distinction entre ses groupes ethniques, à l’instar des Etats-Unis d’Amérique. En 1947, le général répertorie 131 minorités birmanes … dont les Rohingyas ne font pas partie. C’est là le début de leur combat pour leurs droits et leur reconnaissance officielle en tant qu’ethnie. Considérés comme des immigrés sur le sol birman, les Rohingyas sont, depuis leur installation, chassés, persécutés et violentés par l’armée, avec le soutien de l’opinion publique birmane … « Officiellement, le gouvernement du Myanmar ne reconnaît pas les Rohingyas comme des citoyens légaux. » nous explique Sarah, manager dans notre agence de voyage locale à Rangoun, en Birmanie. « Les nationalistes bouddhistes de Birmanie craignent en particulier que le pays perde sa culture birmane. On pense que cette crainte est l’une des raisons pour lesquelles ils se tournent vers les actes extrémistes et racistes envers les Rohingyas. »
Aujourd’hui, il est difficile de déceler des traces de la grandeur passée de l’Etat de Rakhine. Thiri poursuit : « C’est l’un des états les plus pauvres du Myanmar où la population n’a pas accès à l’éducation. L’armée y est toujours puissante et fait pression sur les gens avec la propagande et la peur de la guerre. Le contrôle de cette zone est très controversé à cause des réserves de pétrole et des frontières avec les pays voisins. C’est aussi une région réputée pour le trafic de drogue. Le gouvernement actuel n’a pas de pouvoir sur cette région. Bien que la NLD (National League of Democratie, le parti d’Aung San Suu Kyi, ndlr) ait remporté les élections, le pays n’a pas totalement échappé au contrôle militaire … »
La Birmanie entre dans une phase sombre de son histoire en 1962, après le coup d’état du général Ne Win. Dès lors, les droits accordés aux Rohingyas se réduisent de plus en plus. Entre 1978 et 1991, le pays a vu plusieurs campagnes gouvernementales brutales menées à l’encontre des Rohingyas. Plus de 200 000 musulmans ont été violemment poussés de l’autre côté de la frontière birmane, au Bangladesh. La dictature de Ne Win, alors en place à cette époque, a eu un impact terrible sur l’opinion publique vis-à-vis des Rohingyas. La propagande, la pression psychologique et le manque d’éducation ont fait naître un régime gouvernemental basé sur le racisme et la méfiance entre les communautés bouddhistes et musulmanes. « L’armée utilise les problèmes des Rohingyas pour manipuler les habitants de Rakhine afin d’accroître la crise et de susciter la peur. Et la junte utilise la peur des habitants contre les immigrés à coups de : “ Vous voyez, ils ne souhaitent pas s’intégrer ! La preuve : ils ne parlent pas votre langue et ne veulent pas l’apprendre, ils volent vos terres et violent vos filles. ” Forcement, le reste de la population les traitent négativement. » En 1985, la Birmanie vote une nouvelle loi intégrant cette fois 135 ethnies … dont les Rohingyas ne font toujours pas partie.
Entre 2012 et 2015, les actions et les mouvements à l’encontre des Rohingyas se multiplient. En juin 2012, les choses s’accélèrent et les violences s’aggravent. Des conflits inter-ethniques éclatent partout dans l’Etat de Rakhine ayant pour conséquence des centaines de morts et des milliers de musulmans contraints de quitter leur maison ; plus de 112 000 Rohingyas fuient leur pays en bateau en direction de la Malaisie. En 2014, la Birmanie organise pour la première fois de son histoire un recensement de la population, excluant à nouveau la communauté des Rohingyas. 2016 marque l’apparition d’un mouvement révolutionnaire pour défendre les droits des musulmans de Birmanie : l’ARSA, l’Armée du Salut Arakan Rohingyas. Le 9 octobre de la même année, 300 musulmans (selon les médias locaux) se sont élancés à l’assaut de postes frontaliers de l’Etat de Rakhine entraînant 9 morts. Même scénario le 25 août 2017. A chaque attaque Rohingyas, les répressions orchestrées par l’armée birmane sont plus violentes, se soldant par des incendies probables et par un exil forcé certain.
« Il est important de souligner que la population birmane (y compris la plupart des autres grands groupes ethniques) ne fait pas confiance à la communauté musulmane et en particulier à celle de la frontière de Rakhine. Non pas pour leur religion, mais parce que les nationalistes du Myanmar pensent qu’ils sont en train de nous envahir. Pourtant, les birmans ne s’inquiètent pas des autres ethnies, comme la communauté hindoue ou les communautés sikhs, parce qu’ils ne les considèrent pas comme des menaces. » continue Sarah.
Face à la situation qui, manifestement, lui échappe, Aung San Suu Kyi perd le soutien de la communauté internationale. Elle se voit même retirée le prix « Ambassadeur de la conscience » qu’Amnesty International lui a accordé en 2009 à cause de sa mauvaise gestion de la crise des Rohingyas. Répondant au titre de « Conseillère Spéciale de l’Etat et Porte-Parole de la Présidence de la République de l’Union de Birmanie », elle doit partager le pouvoir avec l’armée encore très présente dans le pays. « Aung San Suu Kyi doit faire face à de nombreux défis depuis la montée au pouvoir de son parti qui ne sont pas ou très peu relayés dans la presse étrangère ; lutte contre la corruption, conflits avec diverses minorités ethniques etc.» Le rôle de décisionnaire dont elle a hérité suite aux élections n’est pas si catégorique que cela en Birmanie. A l’heure actuelle, l’armée contrôle les 3 ministères les plus importants du pays : le ministère des affaires intérieures, le ministère des affaires frontalières et le ministère de la défense (autrement dit, la police). Aung San Suu Kyi n’a donc que très peu de contrôle et d’impact sur la situation dans l’Etat de Rakhine. « Certains pensent que les actions contre les Rohingyas ont été menées par l’armée (toute-puissante avant 2011) pour manipuler les médias contre le gouvernement actuel d’Aung San Suu Kyi, comme un piège. »
Si, d’un point de vue international, Aung San Suu Kyi semble en retrait sur cette question, c’est parce qu’elle se retrouve dos à un mur invisible. Elle sait pertinemment qu’en s’exprimant en faveur des Rohingyas, elle risque de provoquer la colère des birmans et donc de perdre de précieuses voix pour sa réélection. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Après un combat pour la démocratie long de plus de 25 ans, elle espère encore devenir véritablement la Cheffe de l’Etat birman, sans être constamment contrée dans ses décisions par l’armée. Aujourd’hui, sa priorité est de tenir la promesse faite à la population birmane ; celle de conduire le pays à travers un processus de paix dans le but de créer un état fédéral uni. La question du fédéralisme est omniprésente dans les débats en Birmanie depuis l’indépendance du pays en 1948. Faut-il accorder les mêmes droits à l’ensemble des groupes ethniques ? La réponse divise la population depuis des générations. Aung San Suu Kyi semble décidée à poursuivre le combat de son père et à œuvrer pour un pays uni et en paix. Mais c’est sans compter sur l’opinion publique qui ne considère pas les Rohingyas comme une ethnie à part entière.
Aujourd’hui, la situation des Rohingyas s’est très sensiblement améliorée. Le gouvernement birman, épaulé par des conseillers internationaux, travaille actuellement sur un plan de réinsertion des musulmans dans l’Etat de Rakhine. Cette région reçoit des aides financières pour se reconstruire. Un programme a même été mis en place avec un budget alloué à l’électricité, à la sécurité et au développement des 3 townships situés au nord du Rakhine. Dirigeants politiques, médias locaux, population birmane : il est dit partout que les zones touchées par le conflit sont désormais sûres et prêtent à accueillir de nouveau les réfugiés. Mais, tout naturellement, la communauté musulmane en exil n’a plus confiance ni en son pays ni en son gouvernement, d’autant plus que la junte militaire est toujours bien présente dans l’Etat de Rakhine.
Il faudra attendre plusieurs années pour véritablement connaître les retombées des actions récentes entreprises par le gouvernement pour aider les Rohingyas. « Aung San Suu Kyi et son gouvernement ont besoin de temps pour faire leurs preuves et pour pouvoir restructurer le gouvernement actuel. Actuellement, certains postes importants sont occupés par d’anciens colonels corrompus … Les birmans souhaitent également revoir la constitution. » Pour Aung San Suu Kyi, l’enjeu est aujourd’hui d’imposer ses idées face à l’armée qui tente à tout moment de la provoquer. « Les militaires ont tendu un piège à l’actuel gouvernement d’Aung San Suu Kyi, ils ont accepté les élections tout en planifiant leurs actions pour plus tard : plus Aung San Suu Kyi a du pouvoir, plus ils doivent la déstabiliser pour se hisser au rang des plus puissants. En exploitant ce problème d’immigration et en réalisant ces atrocités aux immigrés, ils affaiblissent Aung San Suu Kyi qui perd alors sa plus grande force : le soutien des organisations internationales et donc, un nombre important de votants. »
Mais avant toute chose, il faut que les mentalités birmanes changent. « Dans l’Etat de Rakhine, les opposants occupent une grande place. Ils montent les communautés les unes contre les autres en utilisant le racisme et la méfiance envers la communauté bouddhiste et musulmane. Ils en ont fait les fondements de leur mouvement et en profitent pour faire un “brain washing” aux citoyens. Le mouvement 969, par exemple, est un mouvement qui encourage depuis des années le racisme et les attaques contre la communauté musulmane de Birmanie. »
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Le tourisme a un rôle important à jouer dans ce changement d’opinion global. L’ouverture de la Birmanie au monde est une étape importante dans la tolérance de ses ethnies et peut être un élément de réponse non négligeable à la question tant débattue du fédéralisme et de l’unité du Myanmar. Bien entendu, la région où se sont passés les conflits n’est pas accessible par les voyageurs et se situe loin des zones touristiques dans la région de Rakhine, qui représente seulement 5% de la superficie du pays.