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J’ai découvert la morna, la musique du Cap Vert

Temps de lecture : 7 minutes

Ludovic a parcouru la terre entière. Le Cap Vert faisait partie des pays qu’il n’avait pas encore eu la chance de fouler … et c’est maintenant chose faite ! Pour bynativ, il replonge dans ses souvenirs et nous raconte comment la Morna, musique typiquement capverdienne, l’a enchanté, au sens propre du terme !

Accoudé dans un restaurant des rues festives et colorées de Mindelo, la capitale de l’île de Sao Vicente dans l’archipel du Cap-Vert, je me laisse bercer par une musique disruptive qui détonne dans un paysage urbain et populaire en banlieue de la ville. Statique dans un coin de la pièce, une diva, accompagnée d’un guitariste et d’un percussionniste laisse émerger des profondeurs de son âme, la plainte de ses tourments. Si la Cachupa est le plat national du Cap Vert, la Morna en est la musique emblématique, omniprésente sur les 9 îles habitées de l’archipel. Et il va s’en dire que chaque île en a développé son propre style qui s’apparente au Fado, genre musical typique portugais constitué de chants populaires au thème lyrique accompagnés d’instruments à cordes pincées.

La Morna

Une chanteuse de Morna

La musique, nostalgique et plaintive plonge les spectateurs dans une sorte de danse hypnotique où chaque accord magistral est une ode au temps qui passe et contient les remous des affres de son existence. Amour perdu, mélancolie et détresse de l’exil fusionnent en une symphonie macabre où chaque larme de son corps résonne comme l’acceptation d’une souffrance impossible à dissocier d’une destinée programmée dans la résilience.

Les instruments utilisés dans les chansons de Morna sont la guitare, le cavaquinho, une petite guitare a quatre cordes et le violon. Mais pas de fioriture dans cette scène musicale d’une extrême simplicité.La guitare seule devient un orchestre dans lequel les autres instruments de prédilection ne marquent pas par leur absence ; surtout que sur les murs, les portraits de Cesària Evora dessinés par de jeunes artistes locaux accompagnent ma mélancolie.

Quand la plainte devient lancinante

Le musicien me subjugue. Il s’amuse à quelques reprises à prononcer quelques mots en créole et en portugais, un peu comme si la lancinante mélodie seule ne suffisait plus à extérioriser la douleur exprimée par la chanteuse. La chanteuse, justement, une femme d’un certain âge, est vêtue d’un habit étincelant qui réfléchit les moindres parcelles de lumières émanant de l’unique ampoule qui éclaire la salle. Et ce prolongement des notes de musique atteint son effet : le spectateur est complètement soumis à la volonté de cette femme, passeuse d’histoires et conteuse poétique. Pris dans les filets de la détresse, j’en oublie les couleurs bariolées des rues de la ville, les odeurs des fruits fraîchement coupés de ses marchés locaux, la douceur traîtresse du rhum local que je viens de boire suivi d’un des cafés réputés comme l’un des meilleurs au monde.

Si mon corps reste immobile, en mon for intérieur, je suis prostré. Une sorte de plongée dans un monde ténébreux où l’inconscient joue le rôle d’un gardien qui enfouit à jamais les fantasmes et les événements dont, volontairement on empêche l’accès.

Musiciens de la Morna

Et la dernière note qui crisse comme une craie sur un tableau noir est un réveil brusque mais au combien salvateur. Je viens de vivre une expérience hypnotique, à la limite du rationnel, une vague sensation d’avoir été le sujet d’une expérience unique.

Je questionne Odaïr, mon ami qui me fait face. Je souhaite en savoir plus sur cette musique et lui fait part de mon expérience. Il éclate de rire : « La Morna est née au XIX ème siècle, à Boa Vista. Du moins, c’est ce qu’en disent les étrangers. En réalité, à cette période, la Morna était déjà un genre musical à part entière. Ce que nous en pensons, nous les locaux, c’est que la Morna aurait pour origines le lundum, un style de musique et de danse afro-brésilienne qui aurait été introduit dans l’archipel au XVIII ème siècle. Quoi qu’il en soit, c’est une musique particulière qui parvient à transcender tous ceux qui l’écoutent. On aime ou on n’aime pas mais la Morna ne laisse personne indifférent. Tu peux maintenant en parler en connaissance de cause »

Il est vrai que je ne connaissais pas cette musique qui est parvenue à me transporter dans les méandres de mes aspirations et de mes pensées. Et ce, en fonction du rythme changeant des mélodies jouées. Une fois ascendant, une fois descendant. Cette divergence rythmique est une sorte de montagnes russes auditives ou les strophes voient leur mélodie différer de celle du refrain.Une sorte de running sadness qui donne au Saudade (mot portugais désignant un sentiment profond de nostalgie) tout son sens, en plus d’être pour la Morna, un de ses thèmes de prédilection.

Cesària Evora, la diva au grand coeur

Dessin de Cesaria Evora

Autrefois, musique insulaire, la Morna a pris son envol dans les années 1970 lorsque Cesària Evora, chanteuse originaire de l’île de Sao Vicente interprète la chanson : « Sodade ». La musique intimiste de la diva aux pieds nus, comme elle est surnommée propulse la Morna sur le devant de la scène internationale.

La chanteuse, décédée d’une insuffisance respiratoire en 2011, donnera à la Morna ses lettres de noblesse en la faisant connaître au reste du monde. C’est au travers des rythmes lents du genre musical qu’on apprendra, la tristesse de tout un peuple, victime, d’un commerce abominable d’humains transitant dans les plantations de cacao de l’île de Sao Tomé et Principe, un pays d’Afrique situé beaucoup plus au Sud, au large des côtes du Gabon.

L’ami qui m’accompagne me propose naturellement de me rendre au cimetière de la ville afin de pouvoir découvrir la demeure éternelle de cette grande dame : « Mais, j’y suis allé, mon ami. Je suis allé rendre hommage à la grande dame en compagnie de Nirr, un autre de mes amis capverdiens »

Le cimetière de Mindelo

Cimetière de Cesria Evora

Les souvenirs sont encore frais dans ma tête. Les croix s’étendent à perte de vue et je ressens un sentiment étrange. Le cimetière est désert, mais des rythmes incessants de la Morna semblent m’accompagner. Les tombes, sont placées en ligne droite sur un sol de couleur orange. Un petit chemin en pierres apparentes permet de se promener dans le cimetière. J’arpente le chemin qui se dresse devant moi, sans m’en écarter. Défilent alors les noms des occupants de cette terre de silence.

Mais la tombe de la diva est introuvable. Discrète jusque dans la mort. Alors que nous nous égosillons à la trouver, demandant vainement à quelques passants sa localisation sans avoir plus de chance, Nirr se laisse aller à la confidence : « C’était une brave femme. Je la revois, au bas de sa maison, un verre de whisky à la main, en train de fumer une cigarette. Bonjour Cesària, comment tu vas ? Bah, me disait-elle, comme on peut aller. Mais Cesària, tu gagnes beaucoup d’argent, pourquoi tu restes dans notre quartier. Bah, tu sais, l’argent ne fait pas tout. Je possède beaucoup de chaussures, mais je préfère chanter pieds-nus. Mais Cesària, d’où te vient ton talent ? Tu sais, j’ai chanté la première fois parce qu’un de mes anciens amants me l’avait demandé. Après ça s’est enchaîné. Mais je ne possède pas de don ! »

Cimetière de Cesaria Evora

Cesària était en ce sens une femme du peuple qu’elle n’a jamais quitté. Elle avait toujours vécu avec simplicité, au cœur de son quartier populaire. Même si elle possédait une maison en plein centre-ville, elle retournait toujours dans la banlieue de Mindelo où elle avait passé la majeure partie de son enfance, saluant les passants avec qui elle aimait discuter, puisant certainement son inspiration dans cette banlieue où la misère côtoyait avec force l’optimisme sans faille de ses habitants.

« Aujourd’hui, beaucoup de personnes regrettent de ne plus l’entendre, de ne plus la voir. En outre, sa descendance ne semble pas perpétuer ce don qu’elle possédait pour la musique sans jamais l’admettre. Sa seule fille décéda quelques temps après sa mort. Ses deux petits enfants quittant le pays, tout comme son fils qui choisit de ne pas avoir d’enfant. Le nom d’Evora ne fera ainsi, au grand dam des capverdiens, jamais plus résonner la Morna »

Jusqu’à ce que par le plus grand des hasards, je découvre la tombe de la diva. « C’est ici ! » Nirr, presqu’immédiatement retire la casquette filée qu’il tient dans ses mains, montrant par ce signe, la dévotion et le respect qu’il porte à la grande dame.

La tombe est peu fleurie, nue de sobriété. Quelques coquillages dispersés sur le marbre égayent à demi-mot l’uniformité de la pierre. La diva repose en compagnie de sa mère décédée en 1999, triste départ d’une femme qui compta beaucoup dans sa vie et dont on dit que la perte accentua un peu plus les larmes de son art.

Tombe de Cesaria Evora

Le retour à la réalité

Alors que je me trouve encore au restaurant, je questionne mon ami Odaïr sur le peu de fleurs présentes sur la tombe, une surprise pour moi qui pensait qu’avec son statut de chanteuse aux 4,5 millions de disques vendus et un aéroport qui porte son nom, la tombe serait bien plus fleurie. Odaïr, un sourire en coin me dit : «  Pas d’élucubration, ni d’apparat. Les fleurs sont faites pour les vivants. Les morts, vivent au travers de ce qu’ils ont accompli sur terre. Aujourd’hui, Cesària vit dans chaque note de la Morna qu’elle a fait résonner aux quatre coins du monde, Alors, les fleurs, tu sais… »

Je comprends un peu mieux pourquoi tout au Cap Vert semble accessible. Cette simplicité qui émane de tout l’archipel est un mode de vie bien plus qu’une pensée. Chaque jour qui passe est pour les habitants, une bénédiction. La vie est trop courte, pas de place pour le superficiel. Pas le temps d’être triste…mis à part peut-être dans les mélodies de la Morna.

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