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J’ai participé à la fête d’Uyantsa avec les Kichwas de Sarayaku

Temps de lecture : 5 minutes 45

Laurence Vanpaeschen est une journaliste et avocate belge qui a vécu 4 ans en Equateur. En septembre 2014, elle est partie à la rencontre des Kichwas de Sarayaku, une tribu d’Equateur particulière qui se bat pour protéger leur territoire contre les sociétés pétrolières. Moins d’un an après, l’appel de l’aventure se fait à nouveau ressentir et elle saute dans une pirogue pour participer, aux côtés de la tribu, à Uyantsa, la fête de la lance.

J’apprends que la fête de la lance (Uyantsa) aura lieu mi-février. C’est la fête rituelle la plus importante et la plus ancienne de Sarayaku. Elle est menée en signe de reconnaissance envers la Pachamama pour l’abondance qu’elle prodigue, et d’affirmation de la nécessité de la partager de façon respectueuse. Elle se tient tous les deux ans, il ne faut donc pas manquer cette occasion ! C’est pourquoi je prends à nouveau une pirogue depuis le petit port à une heure de Puyo. J’arrive un jeudi, la veille du début de la fête, après avoir un peu pataugé dans le fleuve pour faire avancer l’embarcation…

Les traditions d’Uyantsa

Une centaine d’hommes sont partis chasser en forêt depuis quinze jours. Ils en reviennent ce soir-là, mais ne rentreront dans la communauté que le lendemain. Les femmes sont épuisées. Pendant la chasse, elles ont récolté le yuca (manioc), l’ont porté sur leur dos en sacs de plusieurs dizaines de kilos, l’ont cuit et mâché pour confectionner des centaines de litres de chicha. Elles ont aussi fabriqué des céramiques, qui se doivent d’être belles et originales, pour servir la chicha et les repas, avant d’être sacrifiées à la fin de la fête. Le dernier soir, elles doivent aussi se peindre le visage avec le jus du wituk, un fruit qui sécrète une sorte d’encre noire. Certaines sont expertes et s’ornent de figures délicates et sophistiquées. Les hommes feront de même cette nuit-là, de manière plus brute.

Vendredi, six heures du matin. La fête s’ouvre par le retour des chasseurs qui débarquent sur la plage à l’entrée de chez Sabine et José. Ils sont répartis en quatre groupes. Chacun d’entre eux a son responsable (prioste) de la fête qu’il aura dû préparer pendant deux ans, notamment à l’aide de mingas. Les mingas, ce sont des travaux collectifs et volontaires, servant à la communauté ou à une famille. Par exemple : construire une maison pour accueillir les cérémonies, récolter du bois pour les diverses cuissons, planter du manioc pour la chicha… C’est un honneur d’être choisi comme prioste, mais aussi un investissement important. Le chiffre 4 marque cette fête : quatre groupes de chasseurs (donc quatre priostes), quatre maisons de fête, quatre jours de cérémonie, quatre porteurs de lances (trois anciens priostes et un nouveau) qui vont rythmer le rituel de danses très codifiées tout au long de la fête. Les femmes dansent aussi, en balançant leur longue chevelure.

Pirogue des indiens à Sarayaku

Une fête initiatique

Je suis sur la plage, avec les femmes qui attendent leurs maris, fils, pères… pour leur offrir la chicha de bienvenue. L’arrivée en quatre temps est impressionnante. Chaque groupe d’une trentaine d’hommes arrive l’un après l’autre sur des pirogues, peints de wituk, vêtus des peaux et des plumes des animaux chassés, au son des tambours et des flûtes fabriqués dans la selva. Le groupe débarque, reçoit la boisson, danse en rond au son des percussions, puis remonte sur les pirogues avec les femmes qui l’ont attendu pour en descendre au « port » principal en contrebas de la place centrale, depuis lequel chacun regagnera sa maison de cérémonie. Pendant quatre jours, ce sera un ballet incessant, chaque maison de fête devant être visitée par chacun des groupes au cours de la journée.

José expliquera que la chasse est un rituel extrêmement précis : Amazanka et la Pachamama sont invoqués pour leur demander la permission de prélever une partie des habitants de la forêt, et ce sont eux qui « désigneront » les animaux à chasser en mettant les hommes sur leur piste. Il s’agit aussi évidemment d’un rite d’initiation, les savoirs ancestraux (chasse et pêche dans le respect des espèces et des zones protégées, fabrication d’abris et de sacs en feuilles, fumage des proies, séchage des peaux, confection des parures et des instruments de musique…) étant à cette occasion transmis aux plus jeunes. Le benjamin, neveu de José, avait dix ans cette année. Il s’agit aussi d’une véritable épreuve de courage et d’endurance, la survie en forêt étant très rude. Pour les femmes aussi, c’est un moment de partage et de transmission : culture et récolte du manioc, fabrication de la chicha et des céramiques de façon collective, ce qui permet aussi de parler, d’échanger conseils et expériences…

Les hommes Sarayaku lors d'Uyantsa

Le moment de compter le butin des Sarayaku

L’arrivée se poursuit par la présentation, dans chaque maison, du produit de la chasse. Moment un peu « sauvage » : ce sont en effet des centaines de cadavres fumés et figés qui sont étalés sur le sol, comptés (pour pouvoir élire le groupe des meilleurs chasseurs), puis accrochés au toit et aux piliers de la maison. Lors de discussions avec des proches, de retour à Quito devant ces images, j’ai défendu que cette chasse abondante, réalisée tous les deux ans pour permettre la reproduction, est de loin plus respectueuse de la vie animale que nos élevages intensifs et l’abattage à la chaîne. Mais c’est quand même impressionnant.

Le samedi est le jour des offrandes végétales : branches de palmiers et fleurs qui sont portées dans chaque maison pour rappeler les bienfaits de la terre mère. Présents qui se voient récompensés en retour par un bol de chicha, bue puis renversée sur la tête du buveur. Ça fait un peu carnaval comme ça, surtout que les participants en viennent vite à s’en lancer des seaux entiers, mais tout est signifiant. Cette boisson traditionnelle, qui ne peut jamais manquer, est aussi un symbole d’abondance et de fertilité, s’en baigner est donc bénéfique.

Le dimanche s’ouvre par une messe, dite par un missionnaire argentin aux longs cheveux gris et bouclés, le visage peint de wituk, qui boit et danse comme les autres, dit une part de son homélie en kichwa avec force gestes théâtraux assez réussis, et se lance dans une comparaison entre les noces de Cana et la Uyantza : « Imaginez-vous qu’il n’y ait pas de chicha à la fête de la lance. Eh bien c’était la même chose à Cana avec le vin ! ». La cérémonie se poursuit par un mariage, puis par une procession avec danse collective sur la place centrale, face à l’église. Pendant ce temps, une armée de cuisinières s’est activée. On a dépendu les animaux séchés et on les a fait cuire en bouillons dans d’énormes marmites. Chacun a droit à sa part du festin et emmène les restes de l’immense banquet. Je suis servie à la table des porteurs de lance et accepte bien évidemment cet honneur… en demandant juste qu’on tente de ne pas me donner de singe. La journée se poursuit en danses et en baignades de chicha, de maison en maison.

Affiche dans la tribu de Sarayaku

Dernier jour d’Uyantza avec la tribu des Kichwas de Sarayaku

Le lundi, dernier jour, est celui de la purification et de la transmission. Les priostes de chaque groupe sont vêtus des peaux de tous les animaux chassés (une cinquantaine de kilos), leurs épouses, ou à défaut, sœurs, mères, etc. sont parées de bijoux et de tissus et visitent une dernière fois chacune des maisons de fête avec leurs successeurs, à grand renfort de baignade de chicha. Tous les villageois vont ensuite se laver dans le fleuve, les peaux et les plumes sont rendus à la Pachamama, via les eaux du Bobonaza. Les  précieuses céramiques sont brisées sur le toit des maisons de fête pour leur apporter la prospérité. Le rituel se termine par quatre (à nouveau) bals, où il faut finir les dernières jarres de chicha.

Départ un peu trop rapide le lendemain matin, pour être sûre d’arriver à Quito le mercredi. Et complètement bouleversée par ce séjour avec les Kichwas de Sarayaku et le privilège qu’a représenté le fait de participer en quelque sorte « de l’intérieur » à un rituel ancestral amazonien.

Envie d’en savoir plus cette tribu ? Consultez nos articles sur le combat mené par les Kichwas  et sur la rencontre de Laurence avec cette population exceptionnelle !

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