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J’ai passé la journée au coeur du cratère de Fogo

Temps de lecture : 9 minutes

Le volcanisme, symbolisme exacerbé d’une terre en furie, fascine autant qu’il impose sa crainte. Face à un volcan, qu’il soit explosif ou effusif, l’être humain se protège, fuit et s’éloigne de ce monstre cracheur de lave qui dévaste tout sur son passage. Pourtant, Ludovic a pu dormir dans le cratère de l’un d’entre eux sur l’île de Fogo au Cap-Vert. Folie douce ou expérience trépidante ? Il nous raconte tout !

En route pour Fogo

Durant mes nombreux voyages autour de la planète, j’ai pu, à plusieurs reprises, admirer le majestueux spectacle d’une éruption volcanique. De type explosif avec le volcan Yasur au Vanuatu ou de type effusif avec le Piton de la Fournaise sur l’île de la Réunion. J’ai ainsi pu découvrir des écoulements magmatiques avec le volcan Nyiragongo en République démocratique du Congo, des écoulements de lave en Indonésie, des rejets de cendres en Italie, des rejets de fumerolles en Equateur avec toujours pour mot d’ordre : la sécurité. S’approcher, mais jamais d’un peu trop près afin d’éviter tel Icare, de me brûler les ailes…ou du moins, le corps.

Ainsi, lorsque mon avion en provenance de Praia au Cap vert posa ses roues sur le tarmac de l’île de Fogo et qu’après avoir rencontré Alcindo, mon guide qui m’annonça que le soir-même, nous allions dormir dans le cratère d’un volcan, ma première réaction fut un rire un peu forcé, n’ayant pas trouvé la plaisanterie drôle. Pourtant, une heure plus tard, je me trouve dans une voiture, mes bagages placées sur le siège arrière à arpenter une route qui traverse un univers de désolation en entrant dans la caldeira, nom donné à la vallée construite en contrebas de ses flancs et entourée de hautes falaises.

Le volcan Fogo au Cap Vert

Les pics acérés des anciennes coulées de lave et leur couleur sombre dénotent dans ce paysage apocalyptique voire lunaire. La réflexion des rayons du soleil qui cogne fort dans le ciel nous oblige, un peu comme si un signe de déférence à la puissance de la nature était une obligation, à baisser les yeux et à tourner le regard vers des cieux plus cléments. Peine perdue, tant nous nous trouvons seuls sur cette route à assister à ce que la terre offre de plus sombre et de plus mystérieux, une plongée à la surface de Vénus, la jumelle maudite de notre planète qui a fait de ce paysage, la principale caractéristique de son inhospitalité…l’hyper-chaleur et l’atmosphère d’acide sulfurique en plus.

Un volcan qui somnole simplement …

Il faut dire que le Pico de Fogo vers lequel nous nous dirigeons n’inspire pas confiance. S’il semble endormi à l’instar de nos volcans nationaux, il est capricieux et instable, ayant déclenché sa dernière fureur le 23 novembre 2014. Alcindo s’en souvient encore.

« Nous avons été réveillés en pleine nuit après un grondement atroce…sans savoir ce que c’était. La dernière éruption datait de 1995 et n’avait fait aucune victime. Une petite colère, une sorte de petit caprice d’enfant. Pourtant, en 2014, le bruit fut terrible. Je m’en souviens encore maintenant. L’éruption détruisit en quinze jours deux villages : Portela, mon village et Bangaeira. Il fallut près de deux ans pour que les villages sortent à nouveau de terre »

Travaux dans le cratère de Fogo

Il va s’en dire que cette bipolarité volcanique ne me rassure pas, mais je n’ai pas le temps de me pencher sur la question que nous entrons dans la ville de Portela afin de nous diriger vers la nouvelle pension qu’il a construit, en effectuant entre autres, un prêt bancaire de 150 000 euros.

« J’ai dû reconstruire ma pension car l’ancienne fut détruite par la dernière éruption alors que je venais de terminer de la payer. Mais pour rien au monde, je n’aurai souhaité quitter la terre de mes ancêtres et sur laquelle, toute ma famille vit »

Il est sûr qu’Alcindo est courageux. La pension qu’il a construite grâce à l’aide des habitants de tout le village est flambant neuve ; elle propose tout le confort disponible et il la gère en compagnie de sa femme, une bordelaise d’une trentaine d’années qu’il a rencontrée peu avant la dernière éruption. Pourtant, si la pension fait le plein, rien n’est facile. Il vit perpétuellement avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : « Etant donné l’instabilité du volcan, aucun assureur ne souhaite accepter une souscription, nous devons donc terminer de payer notre crédit le plus rapidement possible, car si avant la fin des échéances, une nouvelle éruption survenait, nous perdrions tout » 

Pension à Fogo au Cap Vert

Une famille, un village

J’ai à peine le temps de poser mes bagages dans ma chambre, qu’Alcindo vient me chercher pour découvrir son village. Nous arpentons un petit chemin et croisons une petite fille qu’Alcindo prend dans ses bras : « il s’agit de la fille de mon frère. D’ailleurs, presque tout le village appartient à ma famille » Il me désigne une maison proche : « là habite mon autre frère » Une autre maison amène le même rituel :

« – Là, ma sœur…là mes cousins, ma tante, mon oncle, mon beau-frère… 
– Mais tu devrais te présenter en tant que maire ?
– Non…la politique ne m’intéresse pas. Je préfère vivre au milieu des miens. Ici, le gouvernement a essayé de nous faire partir. Après l’éruption de 1995, il a proposé de nous donner des maisons juste à l’entrée de la caldeira, mais nous avons refusé. Nous vivons ici depuis tant d’années…cette terre que les gens considèrent comme dangereuse, écorchée et impraticable…est notre terre. »

Une maison refaite à neuf attire mon regard ; il s’agit de la maison du plus grand des frères d’Alcindo. L’homme me présente sa femme et sa petite fille de sept mois devant laquelle fond Alcindo : « je l’aime tellement… »

Habitants de Fogo au Cap Vert

Entre deux bisous, Alcindo reprend la discussion là où il l’avait laissé : « mais ne crois pas que je suis inconscient. Nous autres, nous avons développé le don de pouvoir prévenir les éruptions…même les jeunes le possèdent. Avant une éruption, plusieurs signes doivent nous alarmer : les tremblements de terre et les vents violents. Si en plus, la nuit, nous entendons un bruit sourd qui émane du sol, l’éruption sera assurée. C’est ce qui s’est passé en 1995 et en 2015. Malheureusement, une fois que ces signes ont été détectés, il est bien souvent trop tard. Il ne nous reste plus qu’à prendre le maximum de meubles pour les mettre le plus en hauteur possible, à une altitude qui ne sera pas atteinte par la lave »

Toutes les trente secondes, Alcindo est arrêté par un membre du village : une caresse sur la tête d’un enfant, une discussion avec son ancien professeur d’école, une parole encourageante à une touriste qui vient de redescendre de l’ascension du grand Fogo et une main tendue à un ami d’enfance.

« – Mais comment différencier un tremblement de terre normal, quoique je ne sais pas si on peut considérer un tremblement de terre comme normal…et un tremblement de terre annonciateur d’une éruption. Pareil pour la tempête ?
– L’oreille et l’habitude. Vous pouvez reconnaître une musique parmi les milliers que vous avez l’habitude d’écouter. Nous faisons de même sauf que chez nous l’orchestre termine son show sans attendre de standing ovation. Je vais te montrer quelque chose. »

Alors que nous faisons face au volcan principal endormi depuis plus de 10 000 ans et à ses petites cheminées qui marquent son flanc, chacune étant responsable d’une éruption de ces deux cents dernières années, Alcindo me montre sur son téléphone portable, une vidéo qu’il a filmé lors de l’éruption de 2015.

Des souvenirs terrifiants encore frais

Les images que je découvre et qui n’ont jamais été diffusées à la télévision me stupéfient ; la lave est d’une hauteur considérable que je ne pouvais suspecter. Pourtant, lors de notre entrée dans la caldeira, Alcindo m’avait bien indiqué, lorsque empruntant une sorte de route entourée de couches de lave refroidies, une hauteur de 60 mètres à certains endroits. Mais, sur le moment, je n’avais pas réagi, croyant avoir mal compris. 60 mètres de hauteur, une quantification trop incroyable pour être crédible. Mais en réalité, il n’avait pas fait d’erreur. A certains endroits, cette locomotive magmatique atteignait presque, à 30 mètres près, la hauteur de la statue de la liberté.

Maison traditionnelle à Fogo

Mais bien plus que sa hauteur, la vitesse aléatoire de la coulée est édifiante. D’abord calme et avançant au ralenti, elle semble poussée par l’arrière et aux portes de l’ancien village de Portela, elle accélère la cadence, dévastant tout sur son passage, recouvrant les maisons et annihilant à jamais les vestiges d’un passé désormais enfoui sous plusieurs mètres de roches en fusion « elle a avancé à près de 65 km/h » finira par m’avouer Alcindo, qui sur les images filmées par un ami, joue avec la lave en fusion en plantant à l’intérieur de la pâte gominée qui lui frôle les pieds, un bâton de bois qui s’enflamme tel un cierge magique placé sur un gâteau d’anniversaire.

Et lorsqu’Alcindo me désigne par le doigt, une maison traditionnelle dont n’émerge du sol que son toit, je comprends que le village du passé se trouve sous mes pieds.

Maison traditionnelle à Fogo

Le soir, de ma chambre, j’observe en même temps que la lumière se couche ce volcan majestueux qui me fait face. Il semble immuable, fier et arrogant, conscient de sa force. Il paraît si calme, endormi pour l’éternité. Mais attention à l’eau qui dort. Sous nos pieds, se déroule une impétuosité dont on ne peut imaginer le dynamisme. Je comprends en plongeant mon regard dans ce décor lunaire, changeant au gré de la colère de ce monstre somnolant, que les habitants aiment ce paysage qui est le leur. Ils ont tout perdu, mais ils ont pourtant trouvé en puisant aux tréfonds de leur âme, le courage qu’il fallait pour tout reconstruire. Et essayer tant s’en faut, de refaire en mieux.

Travaux dans le cratère de Fogo

Il est sûr aujourd’hui qu’en vous rendant dans le village de Portela, vous ne reconnaîtrez plus le décor que l’animateur Antoine de Maximy, dans son émission : « J’irai dormir chez vous » a présenté avant l’éruption. Mais, vous en verrez un autre largement optimisé. Il est sûr que vous n’emprunterez plus jamais cette route en goudron qui servait à traverser la caldeira, mais vous en trouverez une flambant neuve, construite pierre après pierre par des forçats de la terre.

Faire table rase du passé pour se tourner résolument vers l’avenir. Une philosophie de vie qui permet de dormir en contrebas d’un volcan capricieux qui peut se réveiller à tout moment. Mais pas : « avant plusieurs années » selon Alcindo. Espérons qu’il ait raison.

Si vous souhaitez partir au Cap-Vert pour vivre, vous aussi l’expérience du cratère de Fogo, contactez Telma, notre conseillère de voyage locale, afin qu’elle vous organise un voyage inoubliable au Cap-Vert !

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