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Le 8 août dernier, la Birmanie commémorait les 30 ans du plus grand soulèvement pro-démocratique de son histoire. Initié par des manifestations étudiantes à Rangoo en mars de la même année, le mouvement se propagea partout dans le pays et des milliers de personnes se précipitèrent dans les rues pour montrer leur indignation face au gouvernement dictatorial du général Ne Win.
30 ans après, nous sommes curieux de connaître le regard que portent les locaux sur ces événements historiques. Notre conseillère de voyage bynativ en Birmanie, a accepté de répondre à nos questions et de nous apporter son éclairage sur le « soulèvement 8888 ». Que s’est-il réellement passé ? Pourquoi et comment ces révoltes ont-elles marqué le pays ? Lumière avec ce témoignage exceptionnel !
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Personne ne peut le nier, l’histoire politique de la Birmanie est complexe. Et cette complexité se poursuit dans le temps avec des jeux de pouvoir qui ne sont toujours pas stabilisés au moment où nous écrivons cet article. « Si on regarde 70 ans en arrière ; depuis l’indépendance du pays par les britanniques, la Birmanie n’a jamais connu de stabilité. » commence à nous expliquer Thiri. « Pourtant, la Grande Bretagne a proposé au pays de rester dans le Commonwealth … Mais à l’époque, le général et leader de l’indépendance Aung San (père du prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, ndlr) a refusé. » En négociant une indépendance totale, il devient la figure de la Birmanie et la voix d’une grande partie du peuple à travers le parti auquel il fait allégeance : la Ligue Antifasciste pour la Liberté du Peuple. Si ce dernier remporte les élections en avril 1947, le général Aung San n’a cependant pas l’occasion de savourer pleinement la victoire, assassiné en juillet de la même année.
Le parti communiste de Birmanie saute alors sur l’occasion et profite de cette faiblesse pour riposter contre les jeunes élus, initiant ainsi une guerre civile dans le pays. Dépassé par les événements, le gouvernement encore inexpérimenté demande à l’armée birmane – alors dirigée par le général Ne Win – de contrôler temporairement le pays. « Ce qui nous amène en 1962, date à laquelle Ne Win annonce un coup d’État au mois de mars. Il est important de préciser que le général ne croyait pas au système fédéral proposé par le nouveau gouvernement. Il était davantage convaincu par le système socialiste … qu’il mit en place quelques mois plus tard. » Quelques dirigeants des États birmans déclarent alors publiquement leur combat contre l’armée du Myanmar et leur refus de se plier au gouvernement dictatorial de Ne Win. « Mais l’armée prend progressivement le dessus sur les conflits qui éclatent dans tout le pays et parvient à contrôler la situation. La reprise en main de la Birmanie par l’armée évite ainsi au Myanmar d’être divisé en de nombreux pays plus petits qui seraient alors trop affaiblis pour survivre seuls. »
Depuis le coup d’Etat du général Ne Win en 1962, nombreux sont les étudiants qui protestent contre son gouvernement et contre ses actions. Malheureusement, dans la plupart des cas, ces mouvements sont soumis à te fortes et violentes répressions de la part de l’armée. Thiri continue son récit : « Afin de focaliser l’attention du peuple et de générer un faux nationalisme, Ne Win a manipulé les birmans en créant, au sein même du pays, des rivalités communautaires. Il existe plein d’exemples ! Entre les communautés du Myanmar et de la Chine ; entre les communautés bouddhistes et musulmanes ; etc. Grâce à une propagande soigneusement travaillée, le grand public finissait par croire en la protection militaire. Il a également fréquemment – mais subtilement – opprimé les birmans les mieux éduqués qui représentaient à ses yeux, une véritable épine dans le pied. D’où les révoltes étudiantes … »
Thiri nous confie que certains experts politiques du Myanmar ont déclaré que la raison du soulèvement de 8888 est lié à l’ultime tentative du général de créer une énième tension communautaire à partir d’un problème insignifiant. « Sauf que cette fois, il a mal calculé son coup ! Il y a eu une telle indignation de la part du peuple qu’il a finalement perdu son pouvoir politique. »
La prise de pouvoir en 1962 du général Ne Win et le régime autoritaire qu’il met alors en place dans le pays, est l’une des raisons principales du soulèvement de 1988. Ce mouvement pro-démocratique, unique dans l’histoire de la Birmanie, s’est vu initié par un groupe d’étudiants à Ragoon, qui réclamait de façon pacifiste une « justice plus juste ». Pour contrer cela, 500 policiers anti-émeute ont été mobilisés par le gouvernement. Les deux camps se sont échauffés et, dans un mouvement de foule, un étudiant qui manifestait a été tué par balle. « Cet épisode a mis le feu aux poudres en irritant davantage les étudiants sur place et en accroissant le nombre de manifestants. Ne Win a alors ordonné aux forces de police de stopper les manifestations, qu’importe le moyen qu’ils utilisaient pour y arriver. Ainsi, des centaines d’étudiants sont morts sous les balles des policiers ».
L’indignation du peuple face à cette répression violente et injuste ne se fait pas attendre. Etudiants, groupes pro-démocratiques, moines,… ; tout le peuple birman s’unit contre le gouvernement. Parallèlement, les mouvements en faveur de la démocratie prennent de l’ampleur, se propageant dans le pays tout entier. Les revendications des birmans sont simples : la justice, l’instauration des droits de l’homme, et l’autorisation du multipartisme. Les mois qui suivent le premier soulèvement en mars sont ponctués de manifestations toujours plus nombreuses et qui sont toutes (ou presque) réprimées violemment par l’armée. En juillet 1988, face à ce mouvement historique, Ne Win est contraint d’accorder à la Birmanie le multipartisme, ce qui conduit à sa démission quelques semaines plus tard. Ainsi prennent fin ses 26 années de dictature. « Dans son ultime discours, il prononce une phrase tristement célèbre en Birmanie : “Lorsque l’armée tire, elle tire pour tuer.” Cela signifie qu’il avait toujours une forte influence sur les forces armées et que l’ordre de tirer sur les manifestants venait de lui. »
Donnant du courage au peuple, les revendications des birmans redoublent de force et se multiplient. Le 8 août 1988 (d’où le surnom du « soulèvement 8888 »), le mouvement pro-démocratique atteint son apogée avec l’annonce d’une grève nationale suivit en masse par le peuple, toutes classes sociales confondues. Sous le commandement de Ne Win et de sa menace selon laquelle « l’armée ne tirerait pas en l’air », les policiers entreprirent de calmer les manifestations en tirant sur la foule. Résultat de cette triste journée : 95 morts et 240 blessés environs.
« Le soulèvement pris finalement fin le 18 septembre 1988 après un coup d’État sanglant. » nous explique tristement Thiri. Ce jour-là, les manifestants – à bout de patience et de moins en moins confiants dans l’issu du mouvement – organisent un événement plus agressif encore que les autres. Les forces armées, fidèles à elles-mêmes, répliquent très violemment ; plus violemment qu’à l’habitude faisant environ 3000 morts et des milliers de blessés.
A la suite de ce mouvement historique, un cesser le feu est voté. La paix revient dans le pays et, avec elle, la junte militaire, qui s’installe à la tête de la Birmanie. « La junte militaire a essayé d’effacer soigneusement les traces du soulèvement de 8888, tout en contrôlant le public et les étudiants de la prochaine génération avec l’instauration d’un régime militaire strict. En 1996, il y a eu une nouvelle manifestation initiée par des étudiants universitaires. Après cet incident, la junte a fermé certaines universités. Beaucoup ont même été déplacées à l’extérieur de la ville afin de contrôler les mouvements des étudiants sans que le public s’en aperçoive. »
Aung Saun Su Kyi a joué un rôle très important dans ces événements historiques, ce qui lui a valu (en partie) d’être assignée à résidence pendant près de 20 ans par la junte militaire. Deux ans après la fin du soulèvement, le parti politique qu’elle a créé (la Ligue Nationale pour la Démocratie – NLD) gagne les élections. Mais la junte militaire ne l’a jamais autorisé à appliquer son pouvoir. « Certains dirigeants, impliqués dans le soulèvement de 8888 et toujours en vie, ont rejoint le parti NLD. D’autres ont fui le Myanmar et ont continué à manifester leur désaccord depuis l’extérieur du pays. Aujourd’hui, 30 ans après le soulèvement de 8888, les étudiants à l’origine du mouvement qui sont sortis de prison ou qui sont de retour au Myanmar, se sont réunis à nouveau pour continuer leur combat démocratique. Avec la permission du gouvernement actuel, ils ont reconstitué l’union des étudiants sur le campus principal de l’Université de Yangon et ont organisé un mouvement de commémoration pour les étudiants blessés. Ils s’engagent également à poursuivre le combat jusqu’à ce que le Myanmar devienne une démocratie fédérale complète. »